Je ne me souviens guère de mon enfance, juste du jeune garçon que j'étais dans des rues romaines, enchaîné comme tous ceux que je connaissais, les uns derrière les autres. Je ne me rappelle pas qui j'étais au départ, ni de pourquoi je m'étais retrouvé pieds et poings liés dans cette file interminable de manants. Nous avions tous des frasques déchirées et souillées, avant même de nous retrouver sur les camps, nous ressemblions à des esclaves. A cette époque, j'avais déjà l'âge d'adolescence, mais je ne comprend pas pourquoi je n'ai pas de souvenirs avant celui-là. Peut être ma vie a-t-elle été trop riche depuis pour que je retienne tout cela en tête jusqu'à la fin de mes jours, bien que je ne sois pas près de mourir ?
Pendant quelques temps après cela, je me suis retrouvé dans des arrières, à tirer, déplacer, pousser, soulever de grosses charges de pierre, dont une grande quantité de marbre dont les italiens semblent toujours aussi fiers. C'est à ici que j'ai commencé à former mon corps d'Apollon, par le dur labeur qui demandait de la puissance et des bras musclés. Il est d'ailleurs rare que je n'en tire aucunes séquelles. Peut être y suis-je resté trop peu de temps... Tout cela grâce à mon regard à la fois transparent et perçant, que l'on entrevoyait derrière la barrière de mes cheveux qui me retombaient sur le visage, car c'est ce regard qui attira à moi le maître d'oeuvre du chantier. Celui-ci avait apparemment des moeurs assez différents de ceux des gens de la belle société, tout du moins, selon mon avis de l'époque. Mais autrement dit, dès qu'il me repéra dans la foule d'esclaves du chantier, il choisit de m'emmener à son domicile pour un travail assez différent. Je devenais bientôt un serviteur à son atrium, on me logeait dans une chambre de fortune par rapport à ce que j'avais par le passé, même si cela me parait bien dérisoire maintenant. On m'avait même donné des vêtements neufs et on me laissait du temps pour prendre soin de moi. Il fallait que je sois présentable me disait-on. Je faisais de temps en temps le service à table, alors que mon maître prenait son repas avec sa famille, allongé sur sa couchette, ou quand il recevait des gens de plus haute qualité. Je ne me faisais pas d'illusion sur la suite, je comprenais très bien ce que voulait dire son regard, mais avant qu'il ne se passe quoi que se soit, je fus renvoyé, échangé contre une position hiérarchique plus confortable, devant alors la propriété du supérieur de mon ancien maître. J'avais eu l'occasion de le servir quelque fois lors de repas de réunion. Là aussi, les doutes n'étaient pas permis quant à ma future fonction, car plus d'une fois je les avais entendu parler de mon cas lorsque je m'en retournais aux cuisines.

Cette fois, je n'ai pas pu passer entre les mailles du filet. Simplement, un soir lorsque tout le monde était couché dans la belle maison provinciale de mon nouveau maître, on me fit appeler à la salle à manger, me plaçant un plat de raisin entre les mains. J'y retrouvais alors l'homme qui m'avait acheté, qui me demanda directement d'enlever ma toge. Je savais quels étaient mes droits, les siens et mes chances d'en ressortir, alors je ne pris pas le temps de discuter et me retrouvai en tenue d'Adam devant lui. Il fallait dire, que je n'avait aucune chance d'en réchapper ni de me faire plaindre, mais autre chose me décidait à obéir : la curiosité. Ce soir là, la chose n'alla pas beaucoup plus loin, mais les soirées se succédaient et chaque soir amenait quelque chose de nouveau, jusqu'à ce que cela en devienne une habitude. La seule chose qui me permettait de faire en plus de mes services et du confort de mes appartements qui se retrouvait amélioré de jour en jour, c'était boire son sang. La première fois, je pris cela vraiment comme un privilège, me disant que le sang d'un noble ne pouvait qu'être meilleur, mais j'en fus vite déçu. Il n'avait rien de spectaculaire, rien qui ne vaille le coup. Mais cela devint un jeu sado-masochiste tout à fait à son goût, et je me retrouvais à me sustenter de plus en plus souvent sur mon maître.
L'aventure s'arrêta au moment où cette "relation" commençait à faire trop de bruit, la femme de mon maître décida alors de lui interdire ces frivolités avec son esclave favori et bientôt, je fus mis en vente et je redevins un esclave moins que rien parmi tant d'autres.

Pendant plusieurs années, je fus acheté puis revendu. Travaillant comme garçon d'écurie, serviteur, aide dresseur et bien d'autres encore, mais ma fonction principale se cantonnait tout de même à celui d'homme de plaisir, autrement dit, d'un gigolo. On se séparait de moi par manque d'argent, par jalousie, par acte de mort, des raisons on ne peut plus valables, ce qui me permettait de me penser important. Si bien que je ne fus que très rarement maltraité et largement bien nourri et soigné, car plus je me trouvais en forme et en santé, plus on pouvait profiter de mes services, et je savais aussi en jouer pour me protéger, sachant très bien que cela marcherait d'autant mieux que d'utiliser la force. Même si je passais toutes ces années aux mains de maître en temps que simple esclave, je n'avais pas une vie malheureuse. J'étais au chaud, dans un endroit confortable et j'étais désiré. Que demander de plus ? La liberté ? Pour en faire quoi ? Quand on ne se rappelle que de cela et que rien ne nous déplaît dans notre rôle; pourquoi en changer... Je ne suis pas un obsédé comme on pourrait le croire, je suis juste quelqu'un qui aime être à l'aise et se faire du bien.

La partie la plus récente de mon histoire commence sur un marché égyptien, au nord du royaume. Je me retrouvais de nouveau sur un étalage d'esclaves. Mon maître venait de mourir, emporté par une maladie et sa famille se persuada que j'étais celui qui lui avait donné pour me débarrasser de lui et voler une part de l'héritage, ce qui ne m'avait jamais traversé la tête. Et puis à quoi bon voler un héritage après avoir transmis une maladie incurable, alors que dans ce cas j'étais sensé mourir dans peu de temps. mais ce ne fut pas le cas. Ma place sur scène n'était pas mauvaise, car j'étais maintenant connu pour mes talents, malgré les raisons qui poussaient mes possesseurs à se séparer de moi. Je n'étais pas maltraité, j'avais seulement une loge beaucoup moins confortable et je ne m'habituais plus à vivre dans un cachot. Mais ce jour, une femme ravissante posa ses yeux sur moi et ne résista pas longtemps à sa folie acheteuse. Elle avait apparemment envie de faire une folie en cette journée et je tenais le rôle du gros lot à emporter. Si bien qu'une fois payé, je la suivis chez elle et je pris mon poste avec aise assez rapidement.